Signature électronique : l'impossible démocratisation ?

Sur internet, il est devenu habituel d’acheter, de vendre, de parier et plus encore de publier. Il est en revanche très rare de signer. Plus de 10 ans après la parution des textes qui définissent le cadre règlementaire de la signature électronique, le pari de la généralisation de cet outil auprès du grand public n’est pas encore gagné. Comment expliquer ce qu’il faut bien appeler un échec au regard des grandes ambitions affichées à l’époque ?

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Avec le décret du 28 décembre 2012 portant diverses dispositions relatives à la procédure civile et à l’organisation judiciaire, les jugements, à condition qu’ils soient signés électroniquement, peuvent désormais être établis sous forme électronique. Il s’agit d’un nouvel usage de la signature électronique en faveur de la dématérialisation qui aura la particularité de concerner une communauté professionnelle sans que cela ne modifie en rien les habitudes du grand public.

La signature électronique possède l’immense mérite de donner, pour faire simple, la même valeur à l’écrit électronique qu’à l’écrit papier. Dans une société soucieuse de compétitivité, de simplicité et de développement durable, cela aurait pu suffire à assurer un succès massif à ce dispositif. On en est loin et ce n’est pas l’absence de textes juridiques qui en est la cause, bien au contraire.

 Profusion de textes indigestes

Une des principales difficultés auquel on se heurte lorsqu’on cherche à se saisir de la question de la signature électronique réside dans la profusion de textes particulièrement indigestes, et pas forcément cohérents. Ils conduisent à se plonger dans les subtilités des signatures (ou certificats) « sécurisées », « qualifiées », « avancées » ou « présumées fiables ». Dimitri Mouton, auteur Sécurité de la dématérialisation stigmatise ainsi avec humour les tribulations alambiquées de la schtroumpf électronique. A l’évidence, on ressort de la lecture des textes réglementaires avec la certitude que le niveau d’exigence applicable à la signature électronique est sans commune mesure avec ce qui est attendu pour la signature manuscrite adressée par courrier postal. Il y a évidemment toujours de bonnes raisons à cela mais, finalement, la solution prétendument innovante s’avère bien plus complexe à mettre en œuvre. Reconnaissons que les acteurs du marché de la signature électronique ont également une part de responsabilité car ils n’ont pas été, d’une façon générale, en mesure de produire un discours simple susceptible de favoriser l’adhésion des consommateurs. Les jargons cumulés des juristes et des cryptologues n’ont pas trouvé de traduction marketing à la hauteur des enjeux.

Au rayon des obstacles à la généralisation de la signature électronique, il est possible d’ajouter la politique peu lisible des pouvoirs publics. De longue date et à échéance régulière est annoncée la démocratisation de la signature électronique via une nouvelle carte d’identité électronique dont le déploiement est finalement systématiquement repoussé aux calendes grecques. En ces temps de tensions budgétaires, on ne peut pas tenir rigueur aux gouvernants d’ajourner un chantier qui engage significativement l’argent public. En revanche, à force d’annoncer officiellement, à répétition, le déploiement quasi-imminent d’une carte d’identité électronique permettant de signer et qui ne vient jamais, les autorités gèlent le marché qui ne peut pas adopter les bonnes anticipations.

Dans le même temps, le secteur public diffusait de facto un message contradictoire sur l’utilité de la signature électronique en allégeant ses exigences dans le domaine des téléservices. Pour la très populaire déclaration en ligne de l’impôt sur le revenu, la signature électronique de l’usager, initialement exigée, est devenue par la suite facultative.

On aurait tort de faire porter à l’Etat la seule responsabilité des difficultés rencontrées par la signature électronique dans sa longue marche vers la démocratisation de l’usage. Les complications techniques peuvent aussi être évoquées. A titre d’illustration, les solutions qui reposent sur l’utilisation d’applets de signature marchent globalement bien si ce n’est que dans le cadre d’un déploiement massif, il va falloir prendre en compte la grande diversité des terminaux (ordinateurs, tablettes, smartphones), des systèmes d’exploitation ou des versions des différents navigateurs. Il devient illusoire de parler d’innovation, ou de retour sur investissement, lorsque les services supports sont très sollicités et que la solution proposée complique plus qu’elle ne simplifie la vie de l’utilisateur. Finalement, on en arrive souvent à la conclusion qu’imprimer un formulaire, le signer manuscritement puis l’adresser par La Poste n’est pas si compliqué que cela.

 Le certificat à la volée à la rescousse

Cette vision pessimiste pourrait être tempérée si l’on prend en compte le développement significatif, ces dernières années, des signatures électroniques fondées sur des certificats à usage unique, également désignés sous le vocable de certificats à la volée. Ce type de solution trouve notamment à s’appliquer pour la souscription en ligne de contrats d’assurance ou de crédit à la consommation pour des montants relativement faibles. Ces dispositifs présentent des atouts indéniables mais il n’est pas possible d’affirmer que ce type de signature possède exactement la même valeur, au plan juridique, qu’une signature manuscrite. Avant de mettre en œuvre un tel dispositif, l’entreprise doit se livrer à une analyse du risque de même nature que celle qui est menée lorsqu’il s’agit de détruire le papier après sa numérisation pour archivage électronique. En forçant un peu le trait on peut soutenir que la signature électronique avec certificat à usage unique est adaptée au plan juridique … lorsque les risques de contentieux sont faibles.

Le volet contentieux est d’ailleurs un domaine qui peut contribuer à l’essor ou au retard de l’usage de la signature électronique. La décision rendue le 12 décembre 2011 par le Tribunal d’instance d’Epinal et commentée récemment par Isabelle Renard, avocate spécialiste de la question, est à cet égard peu encourageante. Dans une affaire de crédit à la consommation, le juge n’a pas retenu comme valable un document signé électroniquement selon les règles de l’art faute d’une présentation suffisamment pédagogique de la pièce produite.

Aujourd’hui La signature électronique apparaît bien comme un outil parfaitement adapté pour les usages de communautés restreintes d’utilisateurs préalablement connus et c’est pour ce type d’applications que son déploiement est appelé à se poursuivre à un rythme soutenu. C’est bien éloigné des ambitions initiales qui en faisaient un sésame quasi-universel mais ce n’est après tout déjà pas si mal.

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