Vote électronique, confiance et sécurité

Article mis en ligne le 20 décembre 2006

A la faveur des élections de mi-mandat de novembre 2006 aux Etats-Unis, le vote électronique, ou plus exactement, les machines à voter électroniques ont fait l’objet de nombreuses critiques. Une occasion pour se pencher sur la question de la sécurité du vote électronique et plus encore sur la construction de la confiance des utilisateurs vis-à-vis de ces nouveaux dispositifs de vote.

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Lorsqu’on aborde la question du vote électronique, il est dans un premier temps nécessaire d’établir un distinguo entre le vote électronique à distance – par internet ou par téléphone mobile – et l’usage des machines à voter électroniques dans les bureaux de vote. Il s’agit simplement de la transposition dans l’univers électronique des deux modalités traditionnelles du vote : le vote sur place et le vote par correspondance.

 Le vote par internet : ni plus ni moins qu’un vote par correspondance ?

Traditionnellement le vote par correspondance est admis pour favoriser une plus large participation en assumant l’affaiblissement des mesures sécuritaires par rapport au vote sur place. Il est ainsi d’usage courant pour les élections de parents d’élèves, pour celles des représentants du personnel, les élections prud’homales, les élections consulaires, etc. Il est en revanche exclu pour les élections politiques qui doivent, en raison de leur importance et de leur sensibilité, présenter un plus haut niveau de sécurité.

En partant de cet état de fait, le vote électronique par Internet semble bien constituer aujourd’hui une modalité acceptable du vote par correspondance avec un niveau de sécurité au moins équivalent. Il est même vraisemblablement supérieur pour ce qui concerne le contrôle de l‘usurpation d’identité. Il est en pratique plus facile de détourner une enveloppe dans une pile de courrier, et de voter à la place du légitime destinataire, que d’emprunter un mot de passe ou, mieux encore, un certificat électronique. Cette reconnaissance de l’équivalence sécuritaire entre le vote par internet et le vote par correspondance postale est l’un des enseignements que l’on pourra tirer de la décision de la cour de Cassation, du 27 septembre 2006, relative à l’élection au barreau de Paris. La Cour a considéré que le dispositif de vote à distance électronique avait procuré les mêmes garanties que le vote traditionnel.

D’un strict point de vue technologique, les dispositifs de vote par Internet ne représentent pas en eux-mêmes un niveau de complexité inaccessible. Ils présentent d’ailleurs une certaine similitude avec une application de dématérialisation qui est aujourd’hui largement répandue : la dématérialisation des marchés publics. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de concilier deux dimensions potentiellement contradictoire : l’identification et l’anonymat. Identification de la candidature et anonymat de l’offre pour les marchés publics ; identification pour l’émargement et anonymat du bulletin de vote pour l’élection.

Pourtant, il restera toujours délicat de vouloir substituer le vote par Internet au vote traditionnel pour les élections politiques.
Les avantages et les inconvénients traditionnellement mis en avant par les supporters et détracteurs sont bien connus : les premiers plaident pour une « modernité » qui assurera la hausse de la participation, notamment chez les jeunes, les personnes âgées ou à mobilité réduite. Pour les autres : l’élection politique est un devoir civique qui légitime de la part de l’électeur un effort. Il faudrait un minimum de sacralisation de l’acte pour que l’électeur comprenne bien qu’un vote politique n’est pas l’équivalent de la demi finale de la Star Ac’. Sans prendre partie dans ce débat, force est de constater que le vote par Internet n’est pas en mesure – tout comme le vote par correspondance postal – de proposer l’équivalent de l’isoloir. Il subsiste donc par nature le risque du vote exprimé sous la pression (familiale, clanique, professionnelle, etc.)

Il serait théoriquement possible d’imaginer des solutions pour contourner partiellement cet obstacle mais cela reviendrait à aller à l’encontre des pratiques habituelles en matière de vote. Pour certains types d’élection, un électeur identifié pourrait ainsi modifier son vote à plusieurs reprises sur la durée du scrutin en ligne, avec, à chaque fois un délai d’attente significatif. Un tel dispositif nécessiterait que « l’enveloppe numérique » avec d’un côté l’identification de l’électeur et de l’autre le bulletin chiffré en attente chez le gestionnaire de l’élection puissent être annulés et remplacés avant la validation définitive. Faut-il pour autant bousculer des pratiques et habitudes enracinées depuis des décennies voire des siècles pour faciliter l’usage d’une nouvelle technologie ? La réponse est loin d’être évidente et ce n’est pas la question qui se pose avec la plus grande acuité.

 Les machines à voter électroniques manquent de papier

Paradoxalement, c’est aujourd’hui l’usage qui semblait a priori présenter le moins de risques – celui qui consiste à installer des machines à voter électroniques dans les bureaux de vote – qui suscite les critiques les plus vives et les plus nombreuses.

Certes, au Brésil, il est fait un usage massif des machines à voter électronique sans que cela ne provoque de polémiques. Les avantages du dispositif – rapidité des résultats ; assistance pour les électeurs analphabètes – suffisent pour emporter l’adhésion du plus grand nombre. Les mises en cause ont en revanche été particulièrement fortes aux Etats-Unis lors des élections de mi-mandat de novembre 2006.

Le premier problème concerne la transparence du dépouillement. La machine à voter compte toute seule et vite. Cet avantage est aussi un inconvénient. On redécouvre dans ce contexte que la possibilité accordée aux électeurs, dans les votes traditionnels, d’assister ou même de participer au décompte des voix n’est pas (uniquement) une corvée fastidieuse. Il s’agit également d’un des éléments du dispositif de contrôle de la validité du dépouillement et par la même de la confiance des électeurs dans la régularité du scrutin. En pensant supprimer une lourdeur, on a, dans le même temps, retiré une des étapes clés de l’efficacité du dispositif sécuritaire.

Le deuxième problème porte sur l’impossibilité de procéder à un recomptage en cas de contestation (et les contestations seront nombreuses puisque le dépouillement n’est plus transparent). Pour palier ce défaut, apparaît l’idée de systématiser l’impression de reçus en papier pour rendre possible un contrôle ultérieur. Pourquoi pas, mais peut-on prétendre qu’un système à moitié électronique et à moitié papier est véritablement plus moderne, plus efficace et moins coûteux qu’un système entièrement papier ? La démonstration reste à effectuer.

Un des enseignements de toutes ces affaires sur la sécurité du vote électronique est que l’on fera fausse route si l’on se contente de traiter uniquement ces questions sous l’angle de la sécurité technologique. Il s’agit essentiellement d’une question de confiance, de perception de la part du public, avec, inévitablement une part d’irrationnel. Pour les nombreux électeurs non technophiles, qui ne sont pas tous forcément adeptes de la théorie du complot, il subsistera souvent le sentiment que les erreurs (involontaires ou volontaires, décelables ou indécelables) seront toujours possibles. Il existera parfois aussi la conviction qu’un rapprochement entre la liste électronique d’émargement et le bulletin de vote est possible ; que le secret du vote est donc amoindri par le recours à l’électronique. Loin de favoriser un progrès de la démocratie, ce sentiment pourra entraîner une baisse de la participation, une remise en cause de la légitimité des élus, des recours systématique de la part des perdants qui s’engouffreront sur les zones d’incertitudes ou de complexité technologiques. Ce sentiment de défiance pourra également porter atteinte à la sincérité du scrutin : ayant peur d’être surveillé, même si cela est objectivement impossible, l’électeur pourra avoir tendance à modifier son suffrage pour voter selon ce qu’il estime être conforme aux attentes des hypothétiques surveillants.

Aujourd’hui, lorsqu’on utilise les balances en libre service pour les fruits et légumes dans les hypermarchés, on ne s’interroge pas sur la validité du poids, du prix calculés ou sur la sophistication technologique du dispositif. La confiance existe naturellement. C’est dans cette voix qu’il faudra oeuvrer pour développer l’usage du vote électronique.

Arnaud Belleil

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